jeudi 20 mai 2010

Melaena d'Epiglotte

Mai 2010, je suis hospitalisée d'urgence pour une épiglottite, ce qui est assez délicat lorsqu'on est chanteuse. Je dois faire face également à ma voisine de chambre...

Melaena d'Epiglotte*

(Les chroniques de Madame Dame à l'hôpital)

à Madame C.


Elle lâche un horrible pet. Encore. Un autre.
Je me prépare une nouvelle fois à affronter la suffocante pestilence des émanations de son cul.
C'est une odeur que je ne connais pas, je m'efforce, comme pour un parfum, d'en définir les notes...
La merde assurément, en tête, sans hésiter, pas le pet, non, la merde, dense, franche, une vraie odeur de merde.
Puis quelque chose de plus délicat, de plus subtil comme un mélange de lisier et de vomis mais extrêmement volatile... Une charogne sur un asphalte frais?... C'est ça il y a une odeur de goudron... De goudron et de l'idée que je me fais d'un cadavre, on d'un homme qu'on éventre et dont toutes les odeurs du corps surgiraient dans un joyeux cocktail de sang, de bile, et de fiente...
Une odeur de mort...

21h... et cela dure depuis 24... Comment en suis-je arrivée là?

Les concerts, la fatigue, les bars enfumés de Marseille et de Bruxelles, les fricadelles, les 8°C en Belgique, la pluie en PACA, la bière, la vodka, le stress, Friteland, le TGV, le Thalys, le Métro, le Tramway, le bateau...?


Dimanche.

Je regarde le reflux de sang qui dessine un mince filet rouge le long du tube de la perfusion et je pense aux thermomètres au mercure. Le maître d'école nous avait expliqué comment le métal se rétractait au contact du sol pour devenir une multitude de petites billes toxiques. Bien sûr, l'envie de briser le thermomètre familial me taraudait mais la peur de la réprimande eut raison de mes velléités scientifiques.
Lorsque le mercure domestique fut déclaré dangereux et voué à la décharge (on ne disait pas déchetterie à l'époque, pour la bonne raison que la décharge constituait le terrain de dépôt d'ordures sur lequel on construirait plus tard la déchetterie), j'eus l'immense espoir de pouvoir enfin mener à bout mon expérience. Mais le thermomètre avait déjà été brisé. Sans un mot. Sans un adieu. Le mercure s'était ratatiné, divisé, rabougri, transformé sans moi. Je resterai toute ma vie sans la moindre connaissance empirique des propriétés du métal.

C'est à ce moment là qu'une nouvelle rafale de gaz fut envoyée.

Lundi.

Le service ORL de Lariboisière est plutôt sympathique puisque essentiellement constitué, à ma gauche, de nez cassés, carotides lacérées, gorges ouvertes, et à ma droite, de trachéotomies...
Parfois des trachéotomiques se rencontrent et se racontent des histoires de trachéotomies... Trois en particulier qui sont chacun à un stade différent de l'usage de la parole, jusqu'à Monsieur A. qui n'émet qu'un souffle... C'est ce qu'on m'a promit si les antibiotiques venaient à ne pas faire effet...
Je regarde Mme C. qui dort et qui pète.

J'improvise ce que j'appelle "Le Jeu du Tonnerre" et décide de compter les secondes qui séparent la détonation de son fumet. Un, deux, trois, quatre, ciiinq, siiiiiix, sept! Trop de paramètres entrent en jeu pour espérer obtenir une approche systémique : mouvement, résistance de la protection hygiénique, ventilation de la chambre par appel d'air du couloir...
Je fabrique un masque avec un pan de la chemise en crépon que j'ai reçue aux Urgences. Je passe l'élastique du poignet autour de mon oreille et coince le tissu de l'autre côté de ma tête le long de la rambarde de lit.
Quelle heure est-il?

Les infirmiers ouvrent la fenêtre pour aérer la chambre. Je ne savais pas qu'il faisait si doux à Paris...

Mardi.

Je pue. Tout pue. Cette chambre pue. Madame C. pue. Nous vivons dans des chemises en plastique, dormons sur des matelas en plastique. Je traîne ma perfusion comme un petit chien pour espérer un rafraîchissement autour des 30cm2 de lavabo. Mais qui a mis cette lumière? Je tente une approche méthodique du lavage debout en pensant à ma grand-mère. J'arrache les pressions de la blouse que je pousse le long de mon bras perfusé. Le tuyau se gorge de sang. Bon, allons à l'essentiel, restons chic, une douche A.P.C. : aisselles - pieds - c...ellulite.

Ma voisine a un petit renvoi et s'en excuse. L'idée de lui demander pourquoi elle ne s'excuse pas des horribles chapelets méthaniques qu'elle prodigue me traverse l'esprit puis j'abandonne. Elle est sourde et je suis aphone... Je me demande quand même ce qu'ils lui mettent dans sa perfusion.

Aujourd'hui, j'ai réussi à manger un yaourth et deux veloutines, premier repas depuis cinq jours, je ne peux toujours pas boire.
La veloutine est une purée surmixée au spectre colorimétrique étroit, puisque oscillant entre beige pâle et clair kaki.
Autant la vue d'une becquée prémâchée verdâtre répondant au doux nom de "Veloutine de poulet aux légumes au curry mixée et salée" ne m'avait pas trop échaudée à midi, autant la "Veloutine Couscous" du soir m'a quelque peu décontenancée.

Prout.

Mercredi.

Agitation au milieu de la nuit. Des pas, des blouses, qui courent, blanches, vertes, puis blanches encore. Des cris. Masse. Masse. Arrête de masser. On y va. Un bruit. L'électrochoc. On recommence. Bip. Masse. Bip. Masse. Bip. Arrête de masser. Un râle. Bip. On y va. Un râle. Bip. Un râle. Bip. Un râle. Silence...
Du monde dans les couloirs, des rires, des blagues, ouf... C'était pour Monsieur F., je me dis qu'il va bien.
Trente minutes plus tard, des gens, plein, des visiteurs au milieu de la nuit, alors que les visites sont de 13h à 20h. C'est bien écrit sur la porte de la chambre. De 13h à 20h. Pas plus de deux visiteurs par patient. C'est écrit sur la porte de la chambre!!!
Ils cherchent la chambre de Monsieur F. Il est mort.
On est bien peu de chose...

Je traverse les galeries de l'hôpital, il fait beau, l'air de Paris me gratte la gorge. Je monte dans un taxi.



Melaena : Le melaena ou méléna est un terme de médecine désignant un symptôme caractérisé par l'évacuation par l'anus de sang noir, pâteux et nauséabond mélangé ou non aux selles. Les selles sont souvent qualifiées de goudronneuses et peuvent être constatées soit par le patient ou par le médecin lors du toucher rectal. La couleur, la consistance et l'odeur sont dus à une digestion partielle et indiquent que l'hémorragie se situe relativement haut dans le tube digestif.

Epiglotte : L'épiglotte est une structure cartilagineuse reliée au larynx qui coulisse vers le haut quand les voies aériennes sont ouvertes, et aide à obstruer l'entrée de la trachée au moment de la déglutition . Elle descend légèrement vers le bas, afin d'entrer en contact avec le larynx qui s'élève, formant ainsi un verrou au-dessus du larynx.


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